Réalisation : Alex Mayenfisch

Genre : Documentaire

Durée : 50′

Année : 2008

Version originale : Français

Un délai de 30 ans

Revendication emblématique du mouvement d’émancipation des femmes dès la fin des années 60, le droit à l’avortement a suscité une controverse passionnée et des discussions houleuses autour de positions inconciliables.


En Suisse, sept référendums, initiatives et pétitions ont conduit le peuple à se prononcer à plusieurs reprises sur cette question délicate qui relève des convictions personnelles.


Un feuilleton politique et de société retracé à partir des archives de la RTS.

AVORTEMENT EN SUISSE: CHRONOLOGIE

 

1970 Les articles 118 à 121 du Code pénal – introduits en 1942 – interdisent l’avortement et prévoient des peines d’emprisonnement pour la femme qui avorte comme pour la personne qui l’aura aidée à avorter.

Mais l’avortement est autorisé si la santé ou la vie de la mère sont en danger. Sur demande de la femme et de son médecin, une commission ou un expert désignés par les Autorités cantonales délivrent une autorisation d’interruption de grossesse appelée “avis conforme”. Dans certains cantons, cette clause est appliquée avec souplesse et tient compte de l’impossibilité pour la mère d’élever son enfant dans de bonnes conditions (se basant sur la charte de l’OMS – Organisation Mondiale de la Santé – qui élargit le concept de “santé” au bien-être psychique et social). C’est le cas pour Genève, Vaud, Neuchâtel, Bâle et Zurich où sont pratiqués 80% de ces avortements non punissables.

Cependant, par ignorance, par panique ou parce qu’elles ne connaissent pas le “bon” médecin, bon nombre de femmes ont recours à un avortement clandestin – pratiqués à des tarifs abusifs par ceux que l’on nomme les “faiseurs d’anges” – avec leurs lots de complications ou d’infections pouvant entraîner la mort, sans parler des femmes qui par détresse tentent d’interrompre leur grossesse elles-mêmes (bain de moutarde, rinçage à l’eau savonneuse, introduction d’aiguilles à tricoter…).

Dans les cantons catholiques (FR, VS et Suisse centrale), l’avortement légal n’est pas pratiqué. Les femmes qui veulent y avoir recours doivent se rendre dans un autre canton. D’où le terme de “tourisme gynécologique”.

On estime qu’à cette époque 50 à 60’000 avortements sont pratiqués chaque année en Suisse, dont près de 40’000 clandestins (60 à 80’000 dans les années 30…).

1971 Le mouvement pour l’émancipation féminine qui se développe dans la foulée de Mai 68 (principalement sous l’impulsion du MLF – Mouvement de Libération des Femmes), fait de l’accès à la contraception et du droit à l’avortement une de ses principales revendications et prend une place prépondérante dans le débat de société puis sur la scène politique.

En France, “le manifeste des 343” publié dans Le Nouvel Observateur obtient un grand retentissement: pour la première fois, des femmes – dont plusieurs personnalités du monde de la culture – déclarent avoir eu recours à une interruption de grossesse (s’exposant ainsi à des poursuites pénales) et revendiquent l’avortement libre.

En Suisse, c’est un procès qui met le débat sur la place publique: celui de trois médecins neuchâtelois reconnus et appréciés, qui assument leurs actes en les inscrivant dans une perspective politique dénonçant les absurdités du droit en vigueur. (107 femmes et 37 tierces personnes sont condamnées cette année-là pour avortement illégal. La dernière condamnation en Suisse sera prononcée en 1988.)

En juin 71, un (petit) comité hors parti – composé de gens de droite et de gauche – lance une initiative populaire “pour la décriminalisation de l’avortement” qui est déposée en décembre de la même année avec 59’000 signatures.

1972 Pour contrer cette tentative de libéralisation se crée l’organisation “Oui à la vie” principalement issue des milieux catholiques. En septembre, elle dépose aux Chambres fédérales une pétition intitulée “Oui à la vie – non à l’avortement”, munie de 180’000 signatures.

1973 Les partisans de la libéralisation fondent l’Union suisse pour décriminaliser l’avortement (USPDA).

1974 Le Conseil fédéral propose trois variantes pour une légère modification du Code pénal. Le 24 juin, le Conseiller fédéral en charge du dossier, le démocrate-chrétien Kurt Furgler, chef du DFJP, invoquant la “clause de conscience”, refuse de défendre ce projet et se dessaisit du dossier. Il déclarera plus tard: “Au fond de mon cœur, j’étais prêt à démissionner”.

1975 C’est l’année qui voit le débat prendre toute son ampleur. La rétrospective annuelle L’année CH 1975 écrit: “Aucun débat de la vie nationale ne suscite assurément une controverse aussi passionnée et des positions aussi inconciliables. Partisans et adversaires s’opposent dans une violente polémique et des débats houleux.”

En mars, le Conseil national rejette l’initiative “pour la décriminalisation” jugée trop libérale (à l’unanimité moins 2 voix, celles des socialistes Jean Ziegler et Arthur Villard. Aucune des 8 femmes élues en 1971 suite à l’introduction du droit de vote pour les femmes ne soutient l’initiative!).

En juin, une nouvelle initiative “pour une solution du délai”, plus restrictive, est lancée par L’USPDA.

En octobre, un débat au Conseil national est perturbé par les militantes du MLF.

En France, la loi “Weil” (du nom de la ministre de la santé Simone Weil) qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse est adoptée.

1976 L’initiative “pour la solution du délai” aboutit. La première initiative “pour la décriminalisation” est retirée.

1977 25 septembre, votation sur l’initiative “pour la solution du délai”. Elle est refusée à 52% seulement (mais 17 cantons la rejettent. Elle n’aurait pas obtenu la double majorité).

Le Conseil fédéral propose alors une solution intermédiaire dite “des indications sociales”. Partisans du libre choix – qui la jugent trop restrictive – et adversaires – qui refusent toute libéralisation – s’y opposent tous deux par référendum. 90’000 signatures sont récoltées, un record pour l’époque.

1978 28 mai, votation sur la loi “des indications sociales”. Elle est refusée à 69%.

1979 Au Parlement, une nouvelle voie pour une solution fédéraliste est explorée. Elle laisserait les cantons décider de leur législation en la matière. Sept années de débats qui n’aboutiront à rien.

Les adversaires de la libéralisation lancent l’initiative “pour le droit à la vie”. Même si le texte de l’initiative ne le dit pas explicitement, son but est d’interdire l’avortement.

Fondation de l’Association suisse pour le droit à l’avortement et à la contraception (ASDAC) par des militantes féministes qui jugent l’USPDA trop timorée.

1980 Dépôt de l’initiative “pour le droit à la vie” avec 230’000 signatures! (La loi en exige 50’000.)

1981 Le Parlement vote une loi obligeant les cantons à mettre sur pied des Centres de consultation de grossesse “dans le but d’informer et de permettre aux couples de prendre librement leur décision”.

Un autre fait, imprévu, vient favoriser l’accès à la contraception: l’apparition du Sida au milieu des années 80 fait de l’utilisation du préservatif une nécessité sanitaire: il s’affiche dans la rue avec la campagne “Stop SIDA”.
En 20 ans, le nombre d’interruptions légales a été réduit de 25%, celui des avortements clandestins a été divisé par 10.

1985 9 juin, votation de l’initiative “pour le droit à la vie”. Elle est rejetée à 69%.

Dès lors, la question de l’avortement va disparaître de l’agenda du Parlement pendant près de dix ans. La majorité politique se satisfait du statu quo.
Le débat autour de la libéralisation est relancé au début des années 90 avec l’arrivée de la pilule abortive RU486 qui permet de pratiquer un avortement – sous contrôle médical – sans intervention chirurgicale.

1993 La conseillère nationale socialiste Barbara Haering Binder dépose une initiative parlementaire intitulée “régime du délai” (cosignée par 62 parlementaires de 8 partis): cette loi rendrait toute interruption non punissable durant les premiers mois de la grossesse.

A la même époque, apparition sur le marché de la “pilule du lendemain”, contraceptif utilisable dans les 72 heures après un rapport sexuel.

1997 Le projet de loi sur le “régime du délai” est déposé: sur demande de la femme et de son médecin, l’avortement serait autorisé durant les 14 premières semaines de la grossesse.

Petite révolution dans le monde politique suisse: sous pression des femmes du parti, le Parti Démocrate Chrétien (PDC) – jusque-là opposé à toute libéralisation et qui compte bon nombre de militants anti-avortement – soutient le principe du “régime du délai”.

1998 Le parlement entame la discussion sur la proposition de “régime du délai”. LaSuisse est alors un des derniers pays européens – avec l’Irlande, la Pologne, le Portugal et l’Espagne – à imposer une loi restrictive en matière d’interruption de grossesse.

De leur côté, les adversaires de la libéralisation lancent l’initiative “pour la mère et l’enfant”. Elle propose d’accorder une aide à la femme enceinte qui se trouverait dans une situation de détresse, mais interdit l’avortement – en toute circonstance, même en cas de viol – sauf si la vie de la mère est en danger, conformément à la doctrine du Vatican.

1999 Autorisation de la pilule abortive RU486.
Dépôt de l’initiative “pour la mère et l’enfant”.

2001 Après 4 ans (!) de débats, la loi sur le “régime du délai” est approuvée par les Chambres fédérales. Seule modification par rapport au projet initial, le délai est ramené de 14 à 12 semaines.

La lenteur du débat s’explique par l’intransigeance du PDC qui a conduit à multiplier les allers-retours entre le Conseil national et le Conseil des Etats. Le PDC exige que la femme qui veut avoir recours à un avortement, en plus de l’avis de son médecin, se soumette à une seconde consultation dans un centre spécialisé.

Minorisé, le PDC s’oppose à la nouvelle loi par un référendum (le premier de son histoire) bien que les sondages indiquent une approbation de la loi par 70% de la population. Le référendum est déposé mais pour le PDC c’est un échec politique: incapable de réunir à lui seul les 50’000 signatures nécessaires, il doit compter sur l’apport de celles des fondamentalistes religieux.

2002 2 juin, votation de la loi fédérale du “régime du délai”. Elle est acceptée à 72%. L’initiative “pour la mère et l’enfant” est rejetée à 82%.

1 octobre, le “régime du délai” entre en vigueur.

850’000 signatures ont été apposées sur les sept initiatives, référendums et pétitions qui ont jalonné ce processus.

L’USPDA et l’ASDAC, qui ont défendu le libre choix, ont été dissoutes en 2003. “Oui à la vie” poursuit toujours ses activités (“Choisir la vie” depuis le printemps 08).

Actuellement il se pratique 10’000 à 10’500 interventions par an. La Suisse fait partie des pays européens ayant le taux d’avortement le plus bas: 6,8 interruptions sur 1000 femmes âgées de 15 à 44 ans.

Fiche technique

Réalisation et montage : Alex Mayenfisch

Opérateur vidéo : Daniel Wyss

Musique : Antoine Guex

Mixage : Denis Séchaud

Narration : Laurence Amy, Pascal Parizot

Archives et documentation RTS : Françoise Clément, Frédéric Henchoz

Production : Climage

Coproduction : Radio Télévision Suisse, Irène Challand, Gaspard Lamunière

© 2008 CLIMAGE – RTS

Visionner le film (VOD)

En Suisse : PlayRTS

International : TV5 Monde Plus

Diffuser le film

(projections publiques / festivals)

En Suisse : climage@climage.ch

Ventes mondiales : climage@climage.ch

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