



CÉLINE PERNET, RÉALISATRICE
Je m’appelle Céline, j’ai 35 ans et je suis célibataire sans enfant. Depuis aussi loin que je m’en souvienne, je suis attirée par les hommes. Pourtant, j’ai dû rater le train qui emmène les princesses vers le combo vie de couple épanouie ; maison à la campagne ; bébé qui braille ; Renault espace dans le garage avant 30 ans. Je m’interroge aujourd’hui. Qu’est-ce qui a bien pu foirer pour que je ne sois tellement pas ce qu’on attendait de moi ?
Pendant 3 ans, j’ai cumulé le score plutôt honorable de 476 matchs sur Tinder, de 65 rencards et d’une quinzaine de petites histoires aussi sympathiques qu’éphémères. Ce qu’il faut savoir sur le monde merveilleux des applications de rencontre, c’est que lors d’un premier rendez-vous, il ne faut guère plus de 10 minutes pour savoir si le déplacement en valait la chandelle ou pas. Mais les codes implicites du dating éclair – et un minimum de décence humaine – obligent les deux parties à faire acte de présence pour une durée d’environ 60 minutes avant de se lever poliment en prétextant une excuse. J’ai donc eu un grand nombre de rencontres avec des inconnus, dont la finalité n’était finalement plus la quête amoureuse mais bien la nécessité de meubler le temps. Des parenthèses de vie étrange, des instants suspendus. Une fois épuisées les banalités d’usage, la perspective d’enchaîner sur la pluie et le beau temps m’enthousiasmait que très moyennement. J’avais donc assez naturellement pris l’habitude de demander à ces hommes, avec une grande simplicité et un brin de candeur, ce que cela faisait d’être un homme dans le grand théâtre des relations humaines.
J’ai été frappée par la spontanéité et la sincérité avec lesquelles les hommes de mon âge me parlaient. Grâce à un instrument de rencontre banal pour les gens de ma génération, j’avais ouvert une brèche, un accès direct à la psyché masculine. Le rituel qui m’empêchait de sombrer dans l’ennui des échanges stériles est vite devenu le terreau fertile d’une investigation aussi excitante que fascinante. J’avais besoin d’en savoir plus. Jusque-là, l’empire masculin m’apparaissait comme un relatif fiasco sociétal. Je découvrais soudain des hommes qui voulaient me parler, échanger et qui ne craignaient pas de se mettre à nu. Ce qu’ils me racontaient, leurs questionnements et leurs doutes faisaient écho à l’état d’esprit d’une génération qui se cherche et qui ne se reconnaît plus forcément dans les principes de la masculinité imposés par le système machiste. Ils cherchent – non sans peine – à se construire une identité en dehors d’un mythe de la virilité qui ne leur convient plus vraiment. Ces hommes-là me touchent et m’interpellent. Je vois dans leur fragilité et leur inconfort la promesse inattendue d’un possible changement dans nos relations. Ce qui avait débuté comme un jeu innocent sur le chemin tortueux de ma vie amoureuse est devenu en quelques semaines la genèse d’une véritable enquête documentaire au cœur de nos rapports intimes. Grâce à la réussite de ces premières rencontres je tenais l’occasion rêvée de partir arpenter le monde et la parole des hommes.
En 2020, j’ai lancé un appel, en publiant une annonce sur les réseaux sociaux. En quelques semaines, j’ai reçu près d’une cinquantaine de messages d’hommes (entre 30 et 45 ans) que je ne connaissais absolument pas. Tous me disaient leur désir de me parler. En tête à tête, devant ma caméra, ils m’ont parlé de séduction, de sexe, du couple, du travail et de leur paternité, d’amour et de leur bite aussi. J’ai vu se dessiner, dans cette parole directe et libérée, le portrait d’une génération d’hommes. Des hommes qui veulent qu’on se rencontre, qu’on se parle et qu’on trouve un jour le moyen de réécrire ensemble de nouvelles manières d’être et de vivre en ensemble.