Les premières classes d’accueil de Lausanne ont été créées en 1988. Jusqu’alors, les élèves non francophones, principalement italiens, portugais ou espagnols, avaient la possibilité de suivre les cours intensifs de français pour essayer de rattraper le niveau scolaire des élèves suisses. Mais avec la diversification de la population migrante et l’afflux de requérants d’asile, l’instruction publique s’est rendu compte que le problème des étrangers ne se limitait plus à un problème de langue. D’une part, le niveau d’instruction des élèves devenait de plus en plus bas (certains enfants n’étaient même jamais allés à l’école avant de venir en Suisse) et d’autre part ils avaient parfois subi de tels traumatismes qu’il fallait pouvoir panser leurs plaies avant de leur enseigner la grammaire.
Melting-pot de cultures, ces classes regroupent des enfants dont la langue, la confession, l’âge et le niveau scolaire sont très différents. Les effectifs dépassent donc rarement une douzaine d’élèves et l’enseignement y est plus lent, plus personnalisé, et plus particulièrement axé sur l’étude du français. De plus – crises et conflits obligent – de nouveaux élèves sont introduits en classe en cours d’année, ce qui alourdit le travail des enseignants. Pour Bernard Courvoisier, doyen des treize classes d’accueil lausannoises, “les enseignants prêts à effectuer ce travail doivent réaliser qu’il dépasse, et de loin, la pédagogie. C’est un travail social”.
En principe, l’enfant reste en classe d’accueil une année au moins avant de pouvoir réintégrer une classe “normale”. Les élèves arrivés en Suisse à l’âge de 13 ou 14 ans n’ont donc souvent pas le temps de rattraper le niveau d’une terminale avant la fin de leur scolarité obligatoire. Leur intégration dans le système de formation se révèle en effet fort difficile. Dans un système scolaire de plus en plus sélectif, accéder à des études supérieures ou à une formation professionnelle convenable paraît dès lors presque impossible. Aussi, dans le meilleur des cas, ils espèrent trouver, avec l’appui de leur enseignant, un stage rapide et précaire qui leur permettra d’exercer pour un salaire misérable, des besognes peu prisées par les Suisses.
Le cinéaste Fernand Melgar a réussi, dans «Classe d’accueil», à transmettre une image nuancée de l’insécurité intérieure et extérieure de ces jeunes «immigrés»; il y parvient sans apporter de commentaire, en donnant la parole aux intéressés. Il saisit des moments heureux mais aussi mélancoliques dans la vie de ces jeunes, en touchant au registre des émotions; il soulève de nombreuses questions, notamment à propos de l’identité des jeunes, de la Suisse terre d’asile, de la xénophobie. Les personnes interrogées dans le film s’expriment librement sur des thèmes souvent délicats. C’est également le cas de l’habitante du quartier qui, elle-même Française, se plaint du grand nombre d’étranger et d’étrangères dans sa ville. Ses propos sont représentatifs pour beaucoup de Suisses qui n’ont pas la même attitude selon l’origine des réfugiés. Bruno le jeune Portugais a plus de facilité à se faire accepter qu’Amir venu de Bosnie; mais les peurs quant à l’avenir sont les mêmes pour tous les deux.
Tandis que les jeunes réfléchissent à haute voix sur leur vie entre deux cultures et leur avenir professionnel devant l’arrière-plan idyllique des Alpes valaisannes, nous nous trouvons, en tant qu’observateurs, confrontés en même temps à la question de l’identité de la Suisse. Il en résulte une situation paradoxale: les jeunes étrangers/étrangères admirent un pays qui se trouve lui-même à la recherche de son identité. La déclaration d’Amir – «quelquefois, j’aimerais bien être Suisse» – ne doit pas faire oublier que les enfants continuent d’être marqués par les horreurs de la guerre en Bosnie et que dans ce contexte, la Suisse signifie pour eux tout bonnement «la vie». Quoi qu’il en soit, ces points de vue contrastés sont propres à susciter des discussions intéressantes, entre autres sur le rôle de la Suisse comme pays d’accueil pour les réfugiés.
Le film transmet malgré tout un message d’espoir, surtout par les portraits impressionnants des jeunes qui, grâce à leur volonté de vivre et à leur manière de faire face à leur avenir incertain, tentent de surmonter leur passé.