Réalisation : Stéphane Goël

Genre : Documentaire

Durée : 52′

Année : 2005

Version originale : Français, espagnol

Sous-titres : Français, allemand, italien, arabe

Sur les traces des pharaons noirs

L’archéologue suisse Charles Bonnet et son équipe fouillent le nord du Soudan depuis 1965. Leurs travaux ont permis de montrer l’importance de la civilisation nubienne, celle des fameux «pharaons noirs», et du site de Kerma, premier grand royaume nubien. Après 40 ans de travail, ils font une découverte exceptionnelle…

Grand Prix au Festival du film archéologique de Bruxelles, au Festival Internacional de Cine Arqueolgico del Bidasoa à Irun (Espagne), au Festival Icronos de Bordeaux et au Festival International du Film Archéologique de Besançon.

Prix du Public au Festival du Film d’Archéologie de Nyon.

Mentions au Festival CINARCHEA Kiel, The Archaeology Channel International Film and Video Festival Eugene (USA), au Festival du Film d’Archéologie d’Amiens et Rassegna Internazionale del Cinema Archeologico di Rovereto.

Festivals
FIFME Toulon, FIPATEL Biarritz, Journées de Soleure, AGON Thessalonique, ZIFF Zanzibar, Festival du film scientifique d’Oullins, Pan African Film Festival Los Angeles, Festival du film archéologique de Belgrade, Festival du film archéologique de Cracovie, FIFQ Dakar, Doc à Tunis…

Diffusions
TSR « Temps Présent »; Arte « L’aventure humaine »; RTBF; TSI; TV5 Monde; 3 Sat; Planète; Spektum TV Russia; etc.

Les pharaons noirs

En 747 av. J.C., des souverains nubiens, profitant de la faiblesse de l’Egypte s’emparent de la terre des pharaons. Pendant un peu moins d’un siècle, 5 rois africains vont  régner sur la Nubie et l’Egypte. Sous le règne de ces rois « éthiopiens », c’est à dire au « visage brûlé », l’Egypte unifiée va connaître une période de prospérité et de renouveau artistique. Mais le rêve nubien en Egypte va être de courte durée, et la XXVème dynastie va céder sous les coups des Assyriens et des rois du Delta. En 664 av. notre ère, le dernier pharaon noir, Tanoutamon, se réfugie à Thèbes. La bataille est terrible: la ville est entièrement détruite. Un roi du delta, Psammétique 1er est intronisé souverain du Nord et du Sud. Dès lors les rois Egyptiens s’efforceront de faire disparaître toutes traces de ces pharaons noirs, notamment en mutilant toutes les statues les représentant.

Le premier homme à porter son regard sur le visage de ces rois sera l’archéologue Charles Bonnet. Et la découverte extraordinaire qu’il a faite en janvier 2003, une cachette où étaient enterrées sept statues monumentales des pharaons noirs, montre l’importance du site de Kerma, au Soudan, la capitale du premier royaume nubien.

Charles Bonnet

Passionné, malicieux sous ses airs un peu bourru, charismatique en diable, Charles Bonnet a partagé sa vie pendant de nombreuses années entre la viticulture et l’archéologie.

Né en 1933 à Satigny, village de la campagne genevoise, Charles Bonnet grandit dans une famille de viticulteurs. Enfant, il rêve d’Abou-Simbel. Autorité paternelle oblige, c’est une école d’agriculture puis de viticulture qu’il fréquentera.

« Très jeune je me suis intéressé au passé, c’est sans doute l’influence de ma mère qui me parlait des princesses burgondes de notre région. Mon père avec raison m’a dit: « apprends d’abord ton métier de vigneron et quand tu pourras vivre avec tes vignes, tu pourras toujours faire de l’archéologie », et c’est exactement ce que j’ai fait! Quand vous êtes vigneron ou agriculteur vous êtes très vite à l’aise sur un chantier de fouille, j’ai tout de suite compris comment il fallait l’organiser. »

Au terme de sa formation de vigneron, il partage son temps entre le tracteur et les bancs de l’université pour passer un diplôme en sciences orientales. Il mène sa première fouille à Choully où il exhume les thermes d’une villa romaine. Fouilles, restauration d’églises, Charles Bonnet s’engage corps et âme pour valoriser notre patrimoine, tissant des liens entre le monde des morts et des vivants. Nommé archéologue cantonal de Genève, il s’occupe notamment des fouilles de la cathédrale Saint-Pierre. Parallèlement à sa spécialisation dans le domaine de l’archéologie chrétienne médiévale, il mène une remarquable carrière au Soudan qui lui a aussi permis de devenir une référence obligée de l’archéologie nubienne ancienne.

C’est le hasard qui le conduit au Soudan en 1965.

« Avec quelques amis on s’était dit qu’à la fin de notre diplôme on devrait essayer de  faire des fouilles en Egypte. C’était un peu romantique, c’était des discussions de bistrot. Finalement on s’est rendu compte que c’était très compliqué de faire des fouilles en Egypte, qu’il fallait des références, une institution, qu’il y avait des centaines, des milliers de projets et que ce serait très difficile de se faire accepter. Donc on a choisi d’aller au Soudan, là aussi avec un brin de romantisme, parce que le  Soudan c’était une Egypte du 19ème siècle à l’époque, et ça reste encore très peu fréquenté. Il y a peu de projets archéologiques au Soudan même si c’est un pays très riche et immense. »

Après quelques tâtonnements, Bonnet décide d’entamer des fouilles à Kerma, un site situé au bord du Nil, à 500km au nord de Khartoum. Les travaux gigantesques qu’il y a mené, à raison de trois mois chaque hiver depuis 40 ans, ont permis d’écrire un chapitre entier de l’histoire des civilisations.

Pendant une grande partie de sa carrière, Bonnet a continué d’exploiter son domaine viticole. Les fonds consacrés à l’archéologie sont maigres en Suisse, et la production du raisin a permis de financer une grande partie de ses travaux. Il y a une dizaine d’années Charles Bonnet a remis son domaine à son fils Nicolas, l’un des meilleurs vignerons de Suisse romande. Ils habitent ensemble dans la grande maison familiale à Satigny.

Aujourd’hui Charles Bonnet est couvert d’honneurs: Officier de l’Ordre des Arts et Lettres, Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Professeur invité au Collège de France, Professeur associé à l’Université de Genève, Docteur honoris causa des Universités de Louvain-la-Neuve et Khartoum, etc… Pourtant il ne se voit pas prendre sa retraite de si tôt. En tout cas pas avant d’avoir mené à terme son grand projet: la construction d’un musée à Kerma, où seraient conservés les fabuleuses statues des pharaons noirs qu’il a découvertes en janvier 2003. Ce musée, il le doit à la population locale avec qui il travaille depuis  si longtemps. Pour permettre d’attirer un jour quelque touristes, peut-être, mais surtout pour que les Nubiens puisse prendre conscience de la richesse de leur patrimoine.

« Au Soudan la situation était très délicate. Quand on a commencé à fouiller, on était très proche de la décolonisation qui a eu lieu en 1956. Il y a encore une sorte de complexe d’infériorité. Quand on parle d’architecture ancienne, d’archéologie, on nous dit: « Allez voir en Egypte, c’est là où il y a des modèles, c’est pas chez nous! » Donc là nous avons joué une carte plus politique et essayé de faire comprendre aux Soudanais qu’ils avaient une identité. Une identité extraordinairement riche. Donner une identité à une population c’est fascinant ! »

Le royaume de Kerma

L’existence d’un site archéologique à Kerma, une ville située au sud de la 3ème cataracte du Nil, était connue dès les années 1820. Les voyageurs européens qui suivaient le cours du fleuve en Moyenne-Nubie connaissaient bien les restes du temple majestueux qui s’élèvent encore aujourd’hui à 20m de hauteur au milieu du désert et que la population locale nomme « Defuffa ». En 1913, le premier archéologue à mener des fouilles sur place, l’américain Georges A. Reisner, se concentre principalement sur ce bâtiment et les vestiges des quelques dépendances qui l’entourent. Il interprète à tort le site comme étant un avant-poste égyptien à vocation commerciale. Selon lui la Defuffa aurait servi de refuge en cas d’attaque  et de résidence pour le gouverneur de la  province. La publication, en 1923, de ses conclusions va figer pour un demi-siècle Kerma dans ce statut de ville égyptienne.

Après avoir travaillé pendant plusieurs années sur un site nommé Tabo, Charles Bonnet et son équipe arrivent à Kerma en 1972 pour procéder à une fouille d’urgence en milieu urbain, à 1km de la  Deffufa. Un chantier de construction avait mis à jour un curieux puit circulaire en brique. Cette première fouille permet à Bonnet de mesurer l’ampleur et l’étendue des vestiges, et le convainc de la nécessité de se concentrer sur ce site exceptionnel. D’autant plus qu’il y a urgence car la ville moderne de Kerma s’étend de plus en plus.

Depuis lors les fouilles entreprises dans un vaste périmètre autour de la Deffufa permettent de révéler chaque année un peu plus l’importance de cette ville. A cause de la complexité de son organisation, à cause de sa taille (20 hectares) on peut même affirmer qu’elle jouait le rôle d’une capitale. La capitale d’un fabuleux royaume nubien qui pendant plus de 1’000 ans (-2’500 à -1’500) a réussi à maintenir son indépendance face au très envahissant voisin égyptien. Les limites de ce royaume, qui est la plus ancienne formation historique attestée en Afrique, restent mal connues mais son influence s’est fait ressentir dans tout le haut Nil.

Pendant toute son histoire, l’Egypte fut irrésistiblement attirée vers le sud. Là se trouvaient des matières premières (or, ivoire,…) indispensables, ne serait-ce que pour assurer le culte. Des expéditions guerrières lui permirent d’installer des comptoirs et de définir une frontière avec le « pays de Koush », que les historiens d’aujourd’hui nomment « royaume de Kerma ».

Au début du Moyen-Empire égyptien (-2040 -1640), la frontière est fixée sur la deuxième cataracte. Le royaume de Kerma monte en puissance. L’affrontement avec l’Egypte est âpre. Cela apparaît nettement dans la construction d’une ligne d’énormes fortifications au niveau des cataractes. Elles montrent l’idée que les Egyptiens se faisaient du danger représenté par le royaume de Kerma.

A cette époque l’Egypte connaît une situation politique troublée. L’affaiblissement égyptien est une formidable opportunité pour les rois de Kerma. Cette période est celle de l’apogée du royaume. Les Egyptiens sont repoussés vers le nord. Vers -1600, le royaume de Kerma s’étend jusqu’à la 1ère cataracte et les Nubiens s’emparent de la ville égyptienne d’Eléphantine (Assouan).
Cette période faste ne va pas durer. L’Egypte réussit à sortir de cette période de faiblesse et c’est la période du Nouvel Empire (-1550 -1070). Kamôsis rétablit l’aire d’influence égyptienne en Nubie. Amôsis poursuit cette politique. Il entreprend une expédition vers le sud pour détruire les « archers de Nubie ». Il atteint Tombo, à 20 km de Kerma. Un de ses successeurs, Thoutmôsis I, parvient jusqu’à la cinquième cataracte. Il met ainsi la main sur d’importantes mines d’or. Les Nubiens finissent par céder devant ces coups redoublés. Kerma est prise, détruite, et brûlée. Les enfants des familles royales de Kerma sont emmenés pour être éduqués à l’égyptienne. Les rituels d’inhumation changent. La céramique égyptienne remplace celle de Kerma.

En un siècle, l’acculturation est faite. On voit même des princes nubiens qui « égyptianisent » leur nom. Tout aurait donc dû en rester là. Une nouvelle phase allait commencer après cette politique de la table rase mise en place par les Egyptiens. Et pourtant non: le plus incroyable est que certaines traditions nubiennes vont ressurgir 800 ans plus tard, au moment de la XXVème dynastie – celle des fameux pharaons noirs. Comme si  la culture de Kerma s’était maintenue, transmise, chuchotée, on ne sait comment, de générations en générations…

Les travaux de Charles Bonnet permettent de découvrir un royaume autonome, puissant, doté de particularités fortes, et dont le rayonnement économique et culturel commence tout juste à être mesuré. Kerma est aujourd’hui considérée comme une civilisation à part entière. Si sa grande proximité avec l’Egypte l’a évidemment influencée et même inspirée, il est indéniable que la population a développé une identité propre et indépendante de celle de son voisin. Et depuis quelque temps, les archéologues ont d’ailleurs baptisé Kerma le « premier grand royaume d’Afrique ».

Les statues

Après la disparition du royaume de Kerma, les Egyptiens avaient fondé, sur l’emplacement de sa capitale, une nouvelle ville par intérêt commercial. Cette ville regorgeait de temples dont un magnifique en l’honneur d’Akhenaton, l’époux de Néfertiti. Après avoir travaillé sur la ville nubienne, Charles Bonnet a décidé de concentrer ses efforts sur cette zone égyptienne. Et c’est là, le 11 janvier 2003, que s’est produit l’inimaginable. La découverte d’un vrai trésor: sept statues monumentales des pharaons noirs qui dormaient au fond d’un trou de trois mètres de profondeur, oubliées de l’Histoire pendant deux millénaires et demi.

« Un détail m’intriguait dans cette zone que je fouillais depuis pas mal de temps » raconte Charles Bonnet. Le fameux détail? De l’or. Un vol de feuilles d’or au vent du désert, pas plus d’un dixième de millimètre d’épaisseur. Comme la promesse d’un butin enfoui, une chambre dorée cachée dans les sédiments du désert? Des objets précieux? « J’ai commencé à creuser. Dix centimètres par dix centimètres. Et plus je descendais, plus il y en avait, de ces feuilles d’or. Et soudain, ma truelle a fait «tic!». Un élément de granit noir… Et puis des éclats de lapis-lazuli… J’ai appelé ma collègue française pour déchiffrer les hiéroglyphes qui sont apparus: «Taharqa» et «Pnoubs», notamment. »

Taharqa, c’est le pharaon noir qui régna sur l’Egypte et la Nubie de 690 à 664 avant J.-C. Et Pnoubs? Ce nom de lieu était connu par les textes, mais on n’avait pas encore réussi à le situer. L’énigme est résolue: la cité nubienne de Pnoubs correspond à Kerma. Charles Bonnet comprend alors –  avec stupéfaction – qu’il était tombé sur les statues monumentales des ces pharaons sans visages. Enfouies dans cette « cachette », recouvertes de tissu et de plâtre doré à la feuille, dans une fosse qui devait se trouver à l’origine dans une chapelle: « Très probablement un acte rituel, car les sculptures étaient presque intactes. »

Non seulement cette découverte offre une nouvelle clé pour la compréhension de la civilisation nubienne, mais la remarquable qualité et la bonne conservation des statues, et plus particulièrement des têtes, dévoilent les visages de ces souverains noirs. Toutes les autres représentations des rois koushites découvertes jusqu’ici, en Egypte comme en Nubie, avaient été intentionnellement détériorées: la mutilation du nez est très courante et les cartouches ont été systématiquement martelés. Enfin, contrairement aux représentations qui figurent sur les sarcophages, souvent très stéréotypées, le réalisme de ces statues est flagrant.

C’est une des raisons pour lesquelles la découverte de ces statues a été un véritable événement dans la région de Kerma. Chaque jour des milliers de personnes, qui faisaient parfois plus de 400 km, sont venues sur le chantier « pour voir ». « C’était de la folie, dit Charles Bonnet, moi qui ai tenté pendant plus de trente ans d’intéresser la population locale à mes recherches! On a mis en place un système de tournus pour les visiteurs, à qui l’on a demandé le silence pour ne pas déranger les ouvriers. Ils ont observé, fascinés, mutiques, presque religieusement. Lorsqu’on a commencé à sortir les statues, une masse de gens applaudissaient à tout rompre au passage de leurs ancêtres. C’étaient leurs rois, leurs racines. » Comment ne pas voir dans cet événement la métaphore d’une naissance, d’une renaissance même pour ce peuple soudanais déchiré par la  guerre depuis plus de 40 ans. Charles Bonnet se prend à rêver: « Ces pharaons seront peut-être la figure identitaire emblématique dont le peuple soudanais a tellement besoin. Ces rois puissants, qui ont su développer le pays et vaincre les Egyptiens pourraient être pour les Soudanais ce que Guillaume Tell est pour les Suisses: un symbole de ce qui les rassemble malgré leurs différences. Vous savez, l’archéologie est une affaire de politique étrangère. Les Français et les Anglais l’ont compris depuis longtemps, mais pas toujours dans  le  bon sens ». La réalité et une découverte unique viennent lui donner raison. Quarante ans de travaux dans le désert lui permettront peut-être d’apporter une petite contribution à la construction d’une identité nationale au Soudan. Et ce serait là une récompense bien supérieure à tous les honneurs académiques.

Fiche technique

Réalisation : Stéphane Goël

Journaliste : Sylvie Rossel

Narration : Raoul Teucher

Image : Camille Cottagnoud

Son direct : Beat Lambert, Bernard Seidler

Montage : Bruno Saparelli

Musique : Jean-Philippe Zwahlen

Mixage : Yannick Dumartineix

Etalonnage : Jean Reusser

Images de synthèse : Sapristi Studio, Lausanne, Nicolas Lambelet, Jean Deppierraz | ART+COM, Berlin: Virtual Archeology, Pawel Wolf, Stephen Kirchner | interface.group GmbH, Jürgen Weissig

Production : Climage, Stéphane Goël

Coproduction : Radio Télévision Suisse, Daniel Monnat, Eric Burnand, Steven Artels, Monique Dobretz | SSR SRG, Alberto Chollet | ARTE G.E.I.E.: Annie Bataillard, Christian Cools

Avec le soutien de : Direction du Développement et de la Coopération (DDC), Fondation Vaudoise pour le Cinéma, Fonds Regio Films, La commune de Satigny

Avec la collaboration de : RTBF – Télévision Belge, Claire Colart

© 2005 CLIMAGE – RTS – ARTE

Visionner le film (VOD)

En Suisse : PlaySuisse

International : Artfilm

Diffuser le film

(projections publiques / festivals)

En Suisse : climage@climage.ch

Ventes mondiales : climage@climage.ch

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